Quelques clés de décryptage de la conjoncture sociale
Juin 2025
En guise d’introduction: qu’est l’analyse de la conjoncture sociale ?
Il est des moments où la prise de hauteur pour les professionnels de l’entreprise est indispensable. Mais sortir le nez du guidon est de plus en plus difficile pour les dirigeants, DRH, directeurs des relations sociales, leurs équipes avec une charge de travail toujours plus grande et des équipes de moins en moins nombreuses.
L’agenda social est pavé de contraintes en tout genre et le temps s’accélère comme l’explique très bien le philosophe allemand Harmut Rosa.
Comment pour des dirigeants, des professionnels RH « être en résonnance » c’est-à-dire être présents au monde qui bouge et qui nous entoure comme le propose le philosophe ?
La résonnance est aussi selon lui quelque chose de vivant qui se passe dans la relation. S’échapper un moment du terrain, de la norme, de la technique, de la gestion, des chiffres et être à l’écoute du monde social et en tirer quelques enseignements qui parlent pour chacun pour rebondir et continuer à s’investir pleinement sans s’épuiser.
Les lectures quotidiennes en 5 mn sont généralement orientées par des besoins ciblés et thématiques. Les revues spécialisées relatent l’actualité (une nouvelle jurisprudence, une loi, un nouvel outil…) mais apportent peu d’éclairage systémique.
L’ambition de cette chronique, introduction à une note de conjoncture sociale plus approfondie qui sortira le 10 Octobre 2025, est cette résonnance, cette petite ouverture, cette simple parenthèse pour partager quelques clés de lecture.
Le sujet du jour : décryptage du dossier des retraites et du psychodrame qui se joue depuis lundi : du politique, rien que du politique.
Nous l’entendons régulièrement en entreprise, les hommes et les femmes qui incarnent le syndicalisme de terrain ne se retrouvent pas toujours dans la ligne de leurs syndicats au niveau confédéral. Côté employeurs notamment les petites entreprises même discours.
« Là-haut ils font de la politique ». Et il est vrai que cette petite phrase n’a jamais autant bien incarnée la réalité que ces derniers mois. Ce qui est fait ou dit « là-haut » ne résonne pas nécessairement pour ces militants de longue date côté syndical.
En effet, le fil directeur s’impose de lui-même en ce début 2025 : le politique surplombe tout le social voire il est pris en otage.
Les défilés du 1er mai étaient de bons marqueurs et s’y rendre était instructif. Cette année, les messages de la CGT/FO/Solidaires ont été noyés par des messages sur la Palestine, les emprisonnements politiques, les droits de l’homme, l’Ukraine…
Les défilés qui se constituaient place d’Italie à Paris étaient clairement investis par des militants politiques et les questions liées aux salaires, aux conditions de travail, aux droits des salariés reléguées au second plan.
La CFDT ne pouvait pas dans ce contexte se mêler aux militants politisés et a préféré organiser des tables rondes sur « le travail » rompant ainsi avec ces dernières années d’intersyndicale.
Mais est-ce si surprenant ? Le seul sujet qui a émergé dans l’actualité sociale nationale de ces derniers mois est celui des retraites, sujet éminemment politique. Qui se préoccupe des accords nationaux interprofessionnels (ANI) sur la fin des mandats limités des élus du CSE ? ou encore de l’accord sur les seniors ou plus exactement des personnes expérimentées ? Sujets passés certainement inaperçu pour le grand public.
Qui se préoccupe des Plans sociaux dans les entreprises ? Qui se préoccupe des premiers niveaux de rémunérations inférieurs au SMIC dans les branches ?
Seul sujet récurrent les retraites mais pourquoi donc ?
Outre que le sujet du financement est un sujet lié à la dette de la France et de ses 3 300 milliards de déficit, le sujet des retraites a été la monnaie d’échange entre le premier ministre François Bayrou au moment de sa nomination et le Parti Socialiste pour garantir une certaine stabilité politique. Le deal n’a pas fonctionné et la réponse ne s’est pas fait attendre : motion de censure à l’Assemblée déposée par le PS.
Au commencement était la politique…
Le Premier Ministre, François Bayrou a dans sa déclaration de politique générale convoqué « un conclave sur les retraites ». Pour la petite histoire, personne n’aurait pensé qu’il se serait fait rattraper par l’actualité de l’Eglise, à laquelle il a emprunté le vocabulaire étrange pour évoquer une ouverture de négociation.
Interrogé sur ce terme le Premier Ministre a évoqué « une délégation paritaire et permanente ». Objet non identifié et encore inconnu dans les relations sociales ! ça commençait étrangement. L’utilisation des mots n’a plus vraiment de sens. Négociation trop connotée ? Depuis lundi on parle bien d’échec de la négociation.
On parlerait de conclave en entreprise en ouvrant une négociation ?
Clin d’œil pour les cardinaux qui ont été bien plus rapides que les partenaires sociaux pour désigner le nouveau pape Léon XIV dont le nom est un message sans ambiguïté pour mettre les questions sociales au centre de son pontificat comme Léon XIII avant lui.[1]
Un jour pour l’élection du Pape, 6 mois pour le conclave des retraites, 18 réunions et pourquoi au fait ?
Partir à 64 ans alors que la majorité des salariés partent déjà plus tôt ?
Il serait aussi intéressant de calculer le coût de ces 18 réunions avec ses délégations, les études réalisées…
Mais, ici ce n’est pas politiquement correct d’en parler. « Fluidifier le dialogue social n’a pas de prix » va-t-on me rétorquer.
Pourtant, ceux qui me connaissent savent bien que je suis une farouche défenseuse du dialogue social mais là c’est trop !
Le sujet des retraites reste un irritant pour des millions de français et le parti socialiste a repris à son compte ce marqueur fort pour troquer la réouverture de ce dossier populaire en échange d’une abstention au vote de la motion de censure proposé par LFI à la mise en place du gouvernement Bayrou.
Cette rupture assumée du PS en janvier 2025 l’est a priori moins à la sortie du dernier congrès de mi-juin surtout à l’approche d’élections locales comme les municipales en 2026 pour des questions certainement d’alliances électorales.
Nous nous éloignons des relations sociales me direz-vous ?
Pas vraiment, car les partenaires sociaux, conscients des enjeux pour le gouvernement, ont joué le jeu du conclave enfin pour certains très peu de temps car très rapidement la CGT et FO ont quitté la table, seule issue pour répondre aux attentes de leurs militants. Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, pour répondre aux attentes internes a dû radicaliser son discours et engager une série de manifestations courant juin notamment le jour où un projet de texte symbolique déposé par le Parti Communiste à l’Assemblée Nationale pour abroger l’âge de départ à 64 ans.
… à la fin était la politique
Ceux qui sont restés, la CFDT, la CFE-CGC, la CFTC, le Medef et la CPME ont multiplié les réunions et n’ont pas fait sortir la fumée blanche du conclave. Quelques éléments en sont ressortis, la retraite des femmes, la capitalisation…la pénibilité mais pas d’accord. La CFDT s’est retrouvée prise dans un piège en jouant le bon élève. Quant au Medef, ils ont pris leurs distances et ont communiqué largement sur le fait qu’ils n’avaient rien demandé sur ce sujet…
Ceux qui sont partis, la CGT, FO en tirent déjà les bénéfices en ne s’étant pas mouillés. Leur communication est simple.
Que retirer de cet épisode négociation-conclave ?
Le Premier Ministre persiste en disant « qu’un chemin existe » pour adopter quelques mesures au Parlement…
Il mouille la chemise car sa parole est en jeu.
La question était politique et le demeure pour le gouvernement même 6 mois après sa mise en place, le PS a déposé une motion de censure votée ou pas par le RN.
Tout le monde joue et instrumenter des sujets sociaux devient insupportable alors que le monde du travail recherche un nouveau souffle.
Arrêtons de parler de démocratie sociale, nous n’y sommes pas. Nos voisins européens sont dans le jeu social, nous, nous sommes dans le jeu politique dans ses pires travers.
Mais les entreprises et leurs salariés voient ce théâtre social de loin et n’en font pas grand-chose.
Certes ces débats sont bien loin de la préoccupation d’un DRH bien que prévoir les départs à la retraite et donc les postes disponibles ou les compétences à transférer est devenu un casse-tête. Les entreprises subissent.
Les négociations sociales internes se succèdent comme le code du travail l’impose. Les négociations de Branche patinent faute d’argent.
Le titre de la note d’Octobre 2025 pourrait-elle prendre comme titre « l’attente » ou « la résignation rageuse », titres qui pourraient être empruntées aux notes d’Entreprise & Personnel. Comment sera rentrée sociale de 2025 ? Le politique dominera très certainement le social.
Face à ces incertitudes majeures, au niveau national ou international, ce sur-place au niveau politique et au niveau syndical national n’apaise en rien le stress collectif, l’anxiété générale.
Les sujets comme l’IA, l’écologie, l’attractivité, l’ambiance au travail, le travail ensemble sont sur la table et nécessitent pourtant de s’y investir.
En animant des séminaires pour dirigeants, dans des secteurs très contraints par l’engagement de l’Etat comme la santé la peur est bien présente. Les acteurs en oublient pratiquement que l’action est toujours possible.
Tirer un fil, peu importe lequel pour lancer l’action serait une sorte d’écologie intérieure pour des organisations souvent en souffrance. Se pencher sur le collectif de travail pour impulser un élan, un espoir, pour susciter l’envie de s’engager. Si une équipe va bien, le collectif ira mieux.
Une attente du tout politique, comme la France est coutumière pour faire bouger les lignes est vain.
Les acteurs y compris syndicaux des entreprises peuvent encore se laisser embarquer dans de beaux projets peu importe qu’ils soient petits au début.
La philosophie, les neurosciences, la sociologie peuvent aider à comprendre ce monde pour éviter qu’il nous échappe ! Prendre de la hauteur et le secret de l’action c’est tout simplement de s’y mettre et lancer une boucle vertueuse.
La note de conjoncture 2025 permettra de prendre cette hauteur et de partager des pistes, des actions et retrouver la vraie place du « social » au plus proche du terrain.
Si vous êtes intéressés, faites le moi savoir pour l’envoi d’une invitation pour la présentation de la note au Sénat le 10 octobre 2025.
[1] Voir mon post sur Linkedln sur le Pape Léon XIII et le syndicalisme