Journal d'une DRH: l'intérêt d'un bon diagnostic


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Pour ceux qui ne connaissent pas Nasr Eddin, allez vite sur internet lire ses petits contes philosophiques souvent absurdes, parfois lumineux et parfois les deux. Ce faux-naïf pourrait bien souvent vous aider à faire passer quelques idées sur un ton un peu décalé : ici l’intérêt d’un bon diagnostic pour ne pas se tromper en qualité de DRH.

« Nasr Eddin, qui veut connaître tous les secteurs de l’activité humaine, cherche à s’initier à la médecine. Il va trouver un homme de l’art de ses amis, auquel il demande s’il peut l’accompagner lors de sa prochaine visite. Le patient est un homme qui souffre de maux de ventre.

-Ce n’est rien, le rassure le médecin presque aussitôt : Tu as mangé trop de cerises, et cela t’a donné la colique. Observe la diète, et dans deux jours il n’y paraîtra plus.

Nasr Eddin en reste tout ébahi : quelle rapidité, quelle sûreté dans le diagnostic!

  • Est-ce donc Allah Lui-même qui t’insuffle Sa science? demande t-il à son ami.
  • Pas du tout, répond l’autre. C’était un cas très facile. Dès que je suis entré, j’ai vu qu’il y avait sous le lit un véritable tas de noyaux de cerises. Il n’y avait qu’à se fonder sur l’évidence!

Nasr Eddin se dit qu’à ce compte-là il peut bien exercer lui aussi la médecine. Il entre chez son premier malade, et constate qu’il n’y a rien sous le lit.

  • Ce n’est pas grave, en conclut-il, tu as une colique. Mais à l’avenir, évite de manger tes babouches. »

En tant que DRH, je suis amenée à prendre diverses décisions, décisions plus ou moins importantes, de lancer des projets, projets plus ou moins structurants et je trouve que ces dernières années, mon temps de réflexion pour répondre de façon la plus pertinente possible diminue dangereusement. C’est le phénomène « d’accélération » de notre époque, dont Harmut Rosa [1], philosophe et sociologue allemand explique si bien. Les nouvelles technologies, les mails, les réseaux sociaux d’entreprises incitent à répondre immédiatement. Il faut aller vite.

Ce phénomène est particulièrement vrai dans la façon de mener les projets. Ils devraient être bouclés avant même d’avoir été lancés. Il faut avoir une sacrée dose de résistance et de légitimité pour freiner et rester zen.

Depuis quelques mois, j’ai initié un projet organisationnel impactant pour la fonction RH.  L’idée a été combattue mais depuis deux mois le projet est dans sa phase opératoire. Comme pour tout projet de cette nature, j’ai souhaité un diagnostic précis sur notre façon de travailler aujourd’hui, sur le recueil des procédures en place, sur l’interview des acteurs concernés.

La pression que je subis vient désormais du fait qu’il faut « mettre en œuvre tout de suite une organisation en place » avant même que le diagnostic soit terminé et que divers scenarii soient proposés.

Je remarque que l’idée même d’un diagnostic préalable peut sembler être une perte de temps, le leitmotiv est « il faut agir ».

Lorsque j’étais consultante les diagnostics post conflits que nous réalisions par exemple, étaient nécessaires non seulement pour comprendre les origines du conflit mais surtout pour apporter des solutions appropriées et « durables ». Ces diagnostics sociaux se sont faits de plus en plus rares, on nous demandait seulement d’apporter des solutions plaquées sur des problèmes trop complexes pour qu’on s’y attarde.

Je comprends Marcel Gauchet[2] qui s’interroge face à ces pratiques « comment résoudre les problèmes dont on ne comprend ni les ressorts ni la genèse ? ».

 

Nasr Eddin se moque des pratiques hâtives, standardisées et trop évidentes.

En tant que DRH, je refuse de succomber aux chants des sirènes des solutions faciles qui ne permettront jamais de régler les problèmes en profondeur.

 

« Perdre du temps » au début d’un projet permettra à coup sûr « d’en gagner » à la fin et surtout de répondre de manière juste aux enjeux identifiés.   

Désormais à chacun sa façon de faire mais :

 « le secret d’action c’est de s’y mettre » comme dit le philosophe Alain.

 

 

 

 

 

[1] Harmut Rosa «  Accéleration, une critique sociale du temps » édition La Découverte 2013

[2] Marcel Gauchet sociologue et historien et directeur d’études à l’ Ecole des hautes études en sciences sociales ( EHESS)


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