Les collectifs de salariés : un défi pour les DRH et syndicats ? (Article paru dans ActuEL RH)


16 vues

Depuis quelques années, des collectifs de salariés d’un nouveau genre se créent dans de grandes entreprises. Pour certaines, la thématique est l’écologie, pour d’autres la santé et plus particulièrement le retour de salariés après un cancer, ou enfin les pairs-aidants, sujet qui concernerait 4,5 millions de salariés[1] en France.

On évoque ces collectifs comme d’une « révolution silencieuse dans les entreprises ». Mais pourquoi ?

Loin de mettre en cause ces initiatives, utiles et ambitieuses, il semble intéressant de s’interroger sur ce phénomène, la raison de leurs créations leurs impacts sur les politiques RH, leur concurrence ou non avec les syndicats, acteurs soucieux par nature du collectif de travail.   

La création de ces collectifs en entreprise n’est pas une nouveauté en soi. Dans les années 90, des collectifs appelés coordinations notamment chez les infirmières revendiquaient une meilleure reconnaissance de leur métier en dehors de tout syndicat. La question que posait ce type de collectif était bien celle de la légitimité des syndicats pour les représenter et porter leurs demandes.

 

Il s’agissait surtout de revendications sur les salaires, les promotions…et une fois la crise passée, le collectif disparaissait parfois pour renaître plus tard.

 

Mais, aujourd’hui, 25 ans plus tard, la création des collectifs relève plutôt de sujets sociétaux, sujets qui font leur entrée en force dans l’entreprise. Ces collectifs se veulent pérennes et mettent tout en œuvre pour s’installer sur le long terme.

Ces thématiques sociétales ne sont pas surprenantes tellement les frontières entre la société en général et les entreprises ne sont plus étanches.

Ces nouveaux sujets sociétaux sont venus percuter un équilibre interne bien établi où le rôle de chacun était connu, la direction, les managers, la DRH, les syndicats bien que pas toujours reconnus par les salariés. 

Chronologiquement, c’est la prise en compte de la santé du salarié qui a bouleversé les politiques internes au point de faire dire au professeur J.E Ray avec une phrase désormais célèbre « le droit de la santé surplombe tout le droit du travail ». La santé qui relevait de la sphère privée est maintenant de la responsabilité de l’entreprise. L’exposition à l’amiante de milliers de salariés a fait prendre conscience que l’employeur ne pouvait pas exposer ses salariés impunément. En 2025, le harcèlement institutionnel relève de la même responsabilité pour la santé mentale.   

 

Par contre une nouvelle étape est franchie en faisant de l’entreprise un lieu d’engagement citoyen, un espace politique au sens de vie de la Cité. L’entreprise sous la pression de ses salariés, regroupés en collectifs, prendrait-elle le relais de l’Etat, des corps intermédiaires dépassés par les demandes et la gravité des enjeux ?

 

Mais si c’est le cas, qu’en est-il pour les millions de personnes qui ne travaillent pas en entreprises ou dans de grandes entreprises ? Abandonnés ?

 

A regarder de près, les collectifs de salariés sur l’écologie visent à pousser les entreprises à prendre des engagements, à être actives dans les questions de climat (Rapport de Gaëtan Brisepierre, projet Ecotaf de novembre 2023).

Pourtant, le législateur reste sur ces réflexes d’avant en sollicitant les représentants des salariés que sont les CSE. Ainsi, malgré la loi climat, seulement 23% des CSE ou acteurs syndicaux considèrent comme une priorité l’enjeu environnemental (Baromètre Ifop sur l’état des relations sociales en France réalisé par Syndex en novembre 2024).

 

Ainsi, à défaut d’initiatives de leurs représentants, les salariés ont pris la main en collectif.  Se sont-ils seulement posés la question qu’ils prenaient la place des élus ? Il est fort à parier que non car les initiatives relèvent souvent d’expériences personnelles fortes, émotionnelles dans presque tous les cas.

Des entreprises où la représentation syndicale demeure forte comme EDF ou Alstom, il y a désormais le collectif Rhizome ou Planet A.  

 

Pour ce qui concerne les collectifs « santé », on ne peut s’empêcher de penser que ce sujet n’est pas toujours bien pris en compte dans beaucoup d’entreprises dans une politique SQVCT adéquate, alors les salariés s’engagent et jouent la solidarité.  

 

Une salariée de chez Sanofi où cette solidarité est très forte sur la santé, témoigne de l’aide apportée par une représentante du collectif « cancer et travail » et indique « Hélène a tout de suite compris ce dont j’avais besoin, car elle a enduré un cancer. Elle a entamé un dialogue avec ma hiérarchie afin d’alléger ma charge de travail ».

Ce sujet ne relève-t-il pas de la RH de proximité d’accompagner un salarié à son retour ou du manager ?

 

Les créations de ces collectifs marquent-ils un recul des acteurs habituels de l’entreprise sur la vraie vie des salariés ?  

Ces questions n’ont-elles pas trouvé les réceptacles traditionnels pour être traitées ? Les RH, les syndicats se sont avec le temps éloignés du terrain, de l’organisation du travail laissant le manager un peu seul entend-t-on dans les diagnostics sociaux. Manque de moyens ? Manque d’intérêts ? D’autres priorités ?  Mais les besoins existent et laissent aussi les salariés seuls. Solitude, isolement il faut agir, les attentes sont bien réelles.

 

Les collectifs pourraient se multiplier tellement ces sujets sociétaux sont nombreux (place des personnes en situation de handicap, le problème de l’illétrisme etc.). Chez Carrefour, ces sujets sont repris aujourd’hui alors que l’enseigne a été avant-gardiste comme me le rappelait cet ancien dirigeant des relations sociales.

 

Se pose tout de même avec tous ces collectifs naissants, la question de la cohérence autour du « vivre ensemble », des messages véhiculés.

 

Ces collectifs se créent les uns à côtés des autres par des initiatives individuelles ou un besoin qui se fait sentir mais sans réflexion de coordination en interne. Pour y répondre en partie, l’association « Les collectifs » s’est créée à l’extérieur de l’entreprise.

Par contre, les discours émanant de l’association sont plus politiques et deviennent « plus ambitieux sur la transformation des modèles économiques » et ne manquent pas de susciter des réticences des managers….Est-ce l’occasion de reprendre la main ou est-ce trop tard ?

 

Sur la pair-aidance, l’appropriation par l’externe de ces sujets revient sous forme d’interpellations des DRH sur la prise en compte des compétences des aidants, sur leurs valorisations, sur le temps nécessaire etc.

 

Comment répondre en tant que DRH ? Accorder des moyens ? Inclure ces demandes dans une politique RH ou pourquoi pas dans une NAO ?

 

Sur les questions d’écologie, certaines DRH voient dans l’investissement de leurs salariés un atout pour étoffer la marque employeur et en faire un avantage d’attractivité pour les « jeunes salariés ».

Cette dynamique écologique est reprise au service d’une attente forte pour le recrutement.

 

La DRH retrouve son périmètre d’action a posteriori.

 

Les organisations syndicales comme les DRH auront-elles intérêt dans un avenir proche de s’approprier de ces sujets ou de les récupérer comme pour l’attractivité ?  

 

Ces questions redonnent du sens pour les salariés de ces grandes entreprises c’est-à-dire une direction où aller, une signification pour l’action. Les échanges avec les salariés engagés dans ces collectifs ne laissent aucun doute plané sur leur engagement fort sur des sujets concrets où ils ont le sentiment d’être utiles et surtout pas empêchés par des procédures trop contraignantes. 

 

En creux, ce type d’engagement volontaire peut faire réfléchir sur l’engagement dans l’entreprise en général.

Peut-être un signal pour retravailler les politiques RH simplement. Voir la fidélisation, l’attractivité sous un autre angle, partir de la vraie vie des salariés et oublier un peu le marketing RH, la marque employeur… sujets sur le bureau de tout DRH !

 

Les diagnostics sociaux réalisés ces derniers mois montrent un délitement du corps social qui a souvent un effet sur la mission même de l’entreprise.

 

Aussi, il s’agit d’un vrai défi pour les CSE/OS pour venir sur le terrain et discuter avec les salariés, mais ces sujets peuvent aussi faire peur à des élus non formés sur ces nouvelles thématiques. Rester sur le terrain de la revendication « classique » est plus aisée peut-être…

 

La bonne nouvelle est que beaucoup de salariés sont prêts à s’investir pour les autres, pour des collègues.

 

Leur offrir un cadre et surfer sur les réussites du « vivre ensemble » est motivant.

 

L’innovation de demain viendra du terrain, challenge pour les entreprises, les syndicats de ne pas passer à côté de ces initiatives, d’être à l’écoute, d’apporter des moyens, de créer des synergies pour travailler ensemble.


 


Articles similaires

Création et référencement du site par Simplébo

Connexion