"Séminaires" : Chapitres 3-4


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Il fait froid ce matin. Je suis au café de la mairie encore plus tôt que d’habitude. 7h30, il fait nuit, personne au bar, seulement Yves, le garçon de café qui s’active comme chaque matin.

- Bonjour !

- Bonjour, mais tu es tombée du lit, un café allongé pour madame la DRH qui ne dort plus?

- Avec grand plaisir !

J’adore venir ici chaque matin, c’est ma bulle avant d’arriver au bureau et commencer les journées.

Le lieu n’a rien de bobo, un long comptoir en zinc, des tables alignées et des banquettes en Skaï comme on en faisait dans les années 70. Rien n’a bougé . Pourtant, vers 8h le café est plein d’employés de la mairie, d’ouvriers avant d’aller sur leurs chantiers, des gens loin de mon monde habituel.

 

 Je prends une demi-heure ici  pour réfléchir, sinon je n’ai pas le temps de le faire. Tout va trop vite. Dans une journée classique, j’assiste à des réunions, je prends des décisions, je reçois mes collaborateurs, je visite les sites… je signe des tas de choses.

 

En parlant de signer, il m’est arrivé une aventure hier soir et je souris toute seule à la vision de la montagne de parapheurs qui m’attendait sur mon bureau.

 

Pour me faciliter la tâche, Isabelle, mon assistante ne m’ayant pas vu depuis deux jours m’avait laissé un petit post-it sur le dernier parapheur  «  à signer en priorité l’ordre du jour du CSE[1], il doit partir demain, le reste peut attendre J ».

 

Je devais être tellement épuisée, je ne sais pas ce qui s’est passé, la tour de Pise des parapheurs s’est penchée anormalement  et s’est effondrée. La péniche, où nous avons nos bureaux, et oui ce n’est pas banal d’avoir son bureau sur la Seine,  a peut être un peu bougé, les bateaux qui passent sous le pont de Clichy ne respectent pas toujours la limitation de vitesse au Port Van Gogh où nous sommes amarrés.

L’une de nos trois péniches, celle de la Direction a même perdu sa passerelle un soir pour les mêmes raisons. Nous étions tous coincés sans pouvoir sortir. Les charmes de travailler sur l’eau…

Tous les documents se sont éparpillés sur le sol. Factures, notes de frais, tracs syndicaux, lettres diverses juchaient sur le sol dans un désordre irrécupérable pour moi à cette heure tardive. Le bruit sourd de l’effondrement a du tellement résonné que Christian de son bureau s’est précipité et m’a vu dépité assise au sol. Un fou rire nous a gagné et s’est propagé jusque chez Alexandre qui n’en croyait pas ses yeux, la DRH et le PDG pleurant de rire au milieu d’un amas de parapheurs.

 

Rire était la soupape pour nous trois hier soir après ces deux jours de séminaire sous tension. Pourtant Antoine a été bon. C’est à la restitution d’un diagnostic que l’on peut juger des qualités d’un bon consultant.

 

Comment dire les choses simplement sans crisper les uns et les autres, comment amener à faire prendre conscience des erreurs sans le dire frontalement en parlant des axes d’amélioration.

Pourtant tout a été dit, des tableaux de reporting, non compris par les managers à l’éloignement du terrain de Christian perçu comme un abandon et parfois du mépris. L’esprit familial n’y est plus pour beaucoup de salariés, et certains le manifestent en montrant du doigt Christian qui ne vient plus sur les plateaux prendre le café et parler avec tout le monde.

 

Christian était livide en lisant les verbatims des salariés, projetés sur l’écran :

 

« On n’entend plus de message, de projet fédérateur. On vient pour manger rien de plus ! »

 

Et des mots encore plus durs de l’encadrement :

 

« On laisse trop de place aux syndicats. A chaque fois on leur demande leur avis. On se laisse bouffer. Après ils ne comprennent pas qu’on prenne une décision sans eux ! 

Nous managers, on a toujours un temps de retard, soit le trac sort avant que nous soyons informés des décisions, soit la rumeur s’en charge ».

« Il n’y a plus de collectif de travail mais des clans, les anciens et les nouveaux, les protégés et les corvéables, nous ressentons une réelle iniquité dans la gestion des ressources humaines, c’est à la tête du client »

 

Et la grève de février a éclaté. La négociation sur les salaires n’avait été qu’un fait déclencheur. Les syndicats avaient tout simplement surfé sur ce mécontentement à tous les niveaux très favorable pour un conflit.

 

Philippe a contesté toutes ces analyses. Il y a vu une remise en cause de son propre management.  Jean a  découvert que la mise en place des reportings financiers n’a pas été comprise bien que nécessaire pour avoir une gestion saine et continuer à se développer.  La gestion rigoureuse n’était pas remise en cause mais c’est la méthode de mise en place qui a été interrogée.

Le débat a été dense, houleux parfois  mais Christian bien qu’encore sous le choc du diagnostic a conclu que Medical Services Group ne pouvait continuer que si la confiance  était restaurée. Il fallait se projeter vers l’avenir et construire un plan d’actions en associant tout le monde.

 

Il comptait sur moi. J’étais légitime pour proposer un plan de travail, une feuille de route au Codir pour continuer cette belle aventure commencée il y a 20 ans. La route risque d’être longue. Je vais être en première ligne et ce n’est pas gagné.

 

Rire, hier soir après tout, était le seul remède après un tel diagnostic social où tout allait mal même si une culture forte unit toujours les salariés.  Le sens et l’action  de l’entreprise demeure le lien fort sur lequel on peut reconstruire « que chacun accède aux soins, à la santé où qu’il se trouve ».

 

J’étais soulagée qu’un dirigeant comme Christian accepte d’entendre cette analyse et rebondisse tout de suite vers l’avenir.

Cette fois, mon job prend tout son sens.

Tellement plongée dans mes réflexions que je n’ai pas vu le bar se remplir. Yves passe de tables en tables, embrassent des clientes, plaisantent avec d’autres. Toujours le mot juste pour bien démarrer la journée. Je paie mon café et lui fais un petit signe de la main pour lui dire «  à demain ».

 

-4-

Depuis quelques années, Christian a délégué la présidence du CSE à Philippe. Il a selon lui, une meilleure vision opérationnelle de l’entreprise. Il maîtrise le cœur du métier.

Aujourd’hui, il n’a pas l’air très heureux d’être ici en réunion avec les élus, surtout avec moi à ses côtés. Les relations sociales sont tendues selon lui et surtout depuis mon arrivée.  Il l’a même dit ouvertement au séminaire.

Il m’impute les bons résultats du syndicat SFDP aux dernières élections professionnelles en juin (j’avais 3 semaines d’ancienneté !) y compris dans le collège cadres où « son protégé » Fréderic Julien de la CFDT était majoritaire avant.

On m’a dit que le délégué CFDT devait beaucoup à Philippe. S’il n’avait pas été là il y a une quinzaine d’années Christian l’aurait licencié pour une histoire de mise sur le marché de compléments alimentaires non homologués. Frédéric Julien en tant que médecin avait la responsabilité de vérifier les autorisations de diffusion. C’était au tout début de l’entreprise et cette erreur a bien failli la faire plonger.

C’est à compter de cette époque, qu’il a été désigné délégué syndical, une sorte de deal : faire désigner un délégué syndical sous contrôle pour éviter de l’entrisme d’un autre syndicat et paix assurée… enfin pas tant que cela car le SFDP est présent et bien présent avec sa déléguée syndicale très charismatique.

 

Elle me semble honnête et très présente sur les plateaux d’appels. Elle se déplace voir les animatrices en grande surface, un vrai travail de terrain. Je pense que je pourrai travailler avec elle, plus qu’avec Frédéric Julien de toute évidence. Pourtant Philippe m’a mis en garde contre l’obstination de Sylviane à faire couler l’entreprise…je jugerai par moi même.

 

- Oui, madame Kergoat nous vous écoutons, intervient Philippe voyant Sylviane lever la main pour intervenir en ce début de séance.

 

- Il s’agit d’une déclaration préalable à inclure dans le compte rendu du CSE, précise Sylviane.

« SFDP souhaiterait avoir une présentation du diagnostic réalisé par le cabinet DSA. Votre séminaire en «  vallée de Chevreuse » a-t-il permis de vous ouvrir les yeux pendant que les équipes se tuent au travail avec des objectifs de productivité insensés? SFDP dénonce à nouveau ce management injuste, à la tête du client, où les sanctions pleuvent de façon honteuse.

Avez-vous eu des réponses sur le fort taux de turnover et l’absentéisme qui ne fait qu’augmenter ?

Avez-vous pu prendre conscience, vous qui étiez à la campagne, que les salariés n’en peuvent plus et que je redoute le pire ?

Mme Petit, sur le plateau d’appel d’Asnières est en burn-out et le médecin du travail vous a notifié son incapacité à reprendre son poste en l’état actuel des choses. Combien de burn-out avant que vous réagissiez ?

Cette entreprise a été crée il y a 20 ans et Christian Martin a jusqu’à peu de temps mis la valeur humaine avant tout, nous exigeons qu’il préside le CSE dans l’avenir, qu’il vienne nous parler en direct pour nous dire ce qu’il veut faire de nous ?

Peut- être qu’il n’ose pas nous affronter et que la rumeur de la vente de l’entreprise justifiée ? Il veut nous vendre avec un bon bénéfice ?  C’est cela la stratégie ?

Nous, nous sommes attachés à notre entreprise, pas celle d’aujourd’hui avec tous ces gestionnaires et leurs tableaux de bord, mais à l’entreprise qui permet aux professionnels de santé de consacrer plus de temps à leur patient, à permettre aux malades de mieux se soigner, au citoyen de mieux se sentir.

Medical Services Group est l’intermédiaire entre des patients et des professionnels  du bien être mais Medical Services Group génère du mal être parmi ses salariés. Vous ne voyiez pas l’erreur ?

SFDP  n’acceptera plus la souffrance des salariés et nous mettons en garde la direction pour les risques qu’elle prend. Nous nous mobiliserons sans relâche »

 

Je suis sûre, que Philippe pense que c’est moi qui aie prévenu Sylviane du séminaire et des principaux points du diagnostic. C’est totalement faux mais je peux admettre que sa déclaration est plutôt pas mal vue !

 

  • Nous ouvrons la séance. Avez-vous des remarques sur le projet de PV soumis au vote ?

Oui, Mme Hardy ?

 

Vingt minutes défilent pour prendre en compte toutes les remarques des uns et des autres avant de voter pour l’approbation du compte rendu.

 

Philippe présente l’ordre du jour de la séance.

 

  •  Nous passons au point 1 «  information et consultation sur le déploiement du projet Médicathon ». François Michel va vous présenter le projet dont il est responsable. La gestion opérationnelle se fera du nouveau site de Montpellier. C’est un projet majeur pour le développement de notre entreprise dans les 10 prochaines années. François c’est à toi.

 

 

 

[1] Comité Social et Economique

 


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